Qu’est-ce que l’Accouchement À Domicile (AAD) ? Est-il encore possible de choisir d’accoucher chez soi en France ? Comment peut-on être accompagnée dans cette démarche ?
Autant de questions que j’aborde avec mon invitée du jour, Emmanuelle. Sage-femme libérale, spécialisée dans l’accompagnement de l’Accouchement À Domicile, elle fait le point sur son parcours professionnel, la situation en France de l’ADD et son engagement pour la cause des femmes et leur droit à un accouchement respecté.
Le parcours d’Emmanuelle pour devenir sage-femme et accompagner l’accouchement à domicile
Choisir le métier de sage-femme
Céline : Bonjour Emmanuelle, et merci de m’accueillir dans ton cabinet pour répondre à quelques questions. Tout d’abord, quand et comment as-tu choisi de devenir sage-femme ?
Emmanuelle : Ce métier a été une évidence pour moi. On va dire qu’au cours d’une conversation complètement anecdotique, où on a évoqué différentes professions médicales, il a été question de celle de sage-femme. Profession qui n’est pas très reconnue. Il y a eu comme un petit déclic dans ma tête, et ça s’est imposé à moi. Donc après, je me suis renseignée sur ce métier, puis je me suis donnée les moyens de devenir sage-femme en suivant le parcours d’études approprié.
Céline : Ça fait combien de temps que tu exerces en tant que sage-femme ?
Emmanuelle : Depuis 1993 donc, si je compte bien, ça fait 28 ans. C’est un peu effrayant de voir que ça fait aussi longtemps et de voir comme le temps passe vite ! Mais voilà, ça fait 28 ans. J’ai exercé 11 ans en maternité. J’habitais auparavant en région parisienne. J’ai exercé dans différentes maternités, des petites et des grosses structures, privées et publiques.
Je crois que je suis un petit peu idéaliste dans la vie, et que je cherchais la maternité idéale, mais je ne l’ai jamais trouvée !
Et puis, je suis venue m’installer en Bretagne en 1995. J’ai eu la chance de travailler dans une super maternité qui n’existe plus maintenant : l’Hôtel-Dieu, à Rennes, où il y avait une chambre de naissance physiologique. J’ai toujours été attirée par la physiologie. Depuis que je suis sage-femme, ça fait partie de mes critères de choix.
Je me suis installée dans la région rennaise et j’ai la chance d’y avoir été embauchée et d’y travailler 9 ans.
L’accouchement à domicile : le respect de la physiologie
Céline : Qu’est-ce qu’un accouchement physiologique ?
Emmanuelle : Un accouchement physiologique est un accouchement naturel, c’est-à-dire un accouchement sur lequel on n’intervient pas médicalement. C’est un accouchement qui ne va pas être accompagné d’une péridurale, qui ne veut pas être accompagné de l’utilisation d’hormones artificielles, d’intervention comme une rupture de la poche des eaux, qui ne va pas être déclenché. Un accouchement, c’est un évènement qui est complètement naturel, physiologique, et on a un petit peu perdu ça puisqu’on est dans une culture médicale, notamment dans le domaine de l’obstétrique, où il y a une très forte médicalisation. Moi-même, quand j’ai été diplômée en 1993, c’était les années d’hyper-médicalisation et j’y ai appris un référentiel de travail qui est complètement à l’opposé de celui que je pratique maintenant ! Et c’est vrai que j’ai eu une grande évolution professionnelle et personnelle dans ma vie, qui m’a amenée un jour à accompagner les accouchements à domicile.
Être sage-femme libérale
Céline : Aujourd’hui, tu es sage-femme libérale. Est-ce que c’est cette réflexion, justement, sur un accompagnement plus physiologique de l’accouchement, qui t’a amenée à exercer en libéral ?
Emmanuelle : Alors, pourquoi je me suis installée en libéral ? J’avais envie de travailler différemment, dans un esprit de globalité. J’avais fait une formation en homéopathie et je ne pouvais pas tellement l’exercer à l’hôpital. Donc, il y a eu différentes raisons.
Une des raisons principales avant tout, c’était la perspective de fermeture de la maternité où je travaillais, qui devait fusionner avec l’Hôpital Sud – maternité existante actuellement. Ça m’a un peu découragée de continuer ma carrière dans une grosse structure, dite « usine à bébés ».
Après, ce sont des rencontres. J’ai rencontré mon ancienne collègue Brigitte, qui a exercé à Bécherel, pour lui demander ce qu’elle pensait de la maternité de Dinan, où elle avait travaillé. Et là, elle m’a invitée à venir travailler avec elle en libéral. Ça s’est fait un petit peu grâce aux rencontres. Ça a mûri, cela me semblait aussi une évidence de continuer ma carrière sur le mode libéral. Je me suis installée en libéral en 2004. Et puis là, ça a ouvert plein de portes !
À la maternité, on est beaucoup dans le rôle de technicienne de la naissance. On est dans un système et on le subit. En libéral, on ouvre sur une autre approche, un autre accompagnement. On ouvre aussi sur d’autres activités complètement inconnues en maternité, comme la préparation à l’accouchement, comme la rééducation du périnée. C’est vrai que pour assurer ces activités, je me suis beaucoup, beaucoup formée, et ça a ouvert plein de portes. Il y a eu un temps de formatage pendant onze ans d’exercice en maternité. Et puis, au fur et à mesure de mes années d’installation en libéral, j’ai ouvert des portes et je me suis dé-formatée. Je me suis un peu éloignée du référentiel du système de soin français et de l’hyper-médicalisation des accouchements.
La sage-femme, actrice et accompagnatrice de l’accouchement à domicile
Pourquoi accompagner l’AAD en tant que sage-femme libérale ?
Céline : J’ai l’impression que tu te sens plus actrice durant un accouchement à domicile (AAD) que lors d’un accouchement en maternité.
Emmanuelle : Beaucoup plus actrice. C’est vrai que c’est complètement différent en tant que sage-femme d’accompagner un accouchement à domicile ou une naissance en maternité.
Après, comment j’ai commencé les accouchements à domicile ? Je dirais que c’est un long processus. J’ai parlé d’un formatage et d’un dé-formatage des conditionnements. Et puis, ça a été aussi comme ce qui m’a poussé à devenir sage-femme. Un déclic, une évidence.
Alors, je me rappelle, il y a quelques années, bien avant de commencer à accompagner les accouchements à domicile, j’avais discuté avec une collègue sage-femme qui avait fait un petit peu d’accouchement à domicile, puis qui accompagnait les femmes en plateau technique. Puis on parlait de l’accouchement à domicile. Elle m’avait dit : « Tu sais, si c’est ton chemin, c’est les femmes qui te mettront sur cette route-là. »
Trouver sa voie
Et puis, quelques années plus tard, c’était en 2009, j’ai accompagné une amie qui avait un projet, pour son premier enfant, d’un accouchement à domicile qui n’avait pas pu aboutir. Il y a eu un transfert. Et puis j’étais persuadée qu’en l’accompagnant, elle allait me demander de la suivre sur un accouchement à domicile. Donc, ça a commencé comme ça, par cette demande basée sur cette amitié. Alors, bien sûr, j’avais encore des freins. J’avais encore un peu de résistance. Et puis, par une belle synchronicité de la vie, il se trouve que pendant cette grossesse, j’ai rencontré Michel Odent, qui est un grand référent dans la naissance physiologique. Je l’ai rencontré à Guichen, il venait faire une conférence. Je suis allée parler avec lui après. Ça m’a complètement rassurée, et ça a vraiment permis le dernier déclic pour me lancer dans l’aventure.
Céline : Tu es sage-femme libérale, et accompagner l’accouchement à domicile est l’une de tes prédilections.
Le concept marginal de l’AAD
Emmanuelle : Je ne sais pas combien on est de sages-femmes en France. Je crois que c’est quelque chose comme 25 000. Je ne connais pas la proportion de sages-femmes hospitalières, territoriales et libérales, mais l’activité d’accompagner un accouchement à domicile, c’est extrêmement marginal puisqu’on est une centaine actuellement à le faire en France.
Céline : C’est vraiment incroyable ce petit nombre de personnes qui le pratique !
Emmanuelle : C’est vrai !
Je reviens à la différence d’accompagnement en maternité et à la maison. C’est extrêmement différent.
La différence principale, c’est vraiment cette notion d’accompagnement global. C’est-à-dire que la patiente, idéalement on connecte, on se rencontre assez tôt pendant la grossesse. Et puis, on va suivre toute la grossesse sur le plan médical, avec des consultations prénatales. On va l’accompagner pour préparer cet accouchement avec une préparation adaptée. Ce qui permet vraiment, au fur à mesure des rencontres :
- la mise en place d’une confiance indispensable, et qui doit être réciproque ;
- de connaître bien la patiente sur le plan physique, psychique, émotionnel, son histoire de vie, etc ;
- de savoir quels sont ses besoins, quelles sont ses attentes, et quelles sont ses peurs.
L’accouchement se prépare. Il y a beaucoup de travail en amont et pour moi, la résultante au moment de la naissance, c’est aussi le fruit de tout le travail qu’on a fait précédemment. Donc, c’est très différent puisque on va se connaître, se côtoyer sur plusieurs mois. Et cet accompagnement global, c’est aussi un grand privilège et un grand plaisir pour la sage-femme, mais aussi pour la femme. C’est un privilège de ne pas avoir de nombreux référents, notamment à chaque consultation à la maternité, de savoir qui va la voir en consultation ou pour l’accouchement. C’est un grand inconnu. Dans une maternité comme l’Hôpital Sud, il y a une centaine de sages-femmes. Il y a très, très peu de chances de tomber sur une sage-femme rencontrée précédemment en consultation. Voilà l’idée de l’accompagnement global et du one to one.
Pourquoi choisir d’accoucher à domicile ?
La souffrance des sages-femmes en maternité
Emmanuelle : Les sages-femmes en maternité sont mises à mal. Il y a eu des mouvements de grève pour signifier leur état de souffrance, leur surcharge de travail, leurs grosses responsabilités. Elles se sentent même maltraitées par le système, puisque pas suffisamment nombreuses, et qu’elles peuvent se sentir mal traitantes, puisque n’étant pas suffisamment disponibles pour vraiment accompagner, avec une qualité de travail, chaque patiente.
On va faire des gardes de 12 heures. Moi, j’ai connu les gardes de 24 heures. Mais sur une garde de 12 heures, on peut accompagner cinq, six accouchements, voire 10/15 avec les urgences, les consultations, les termes dépassés, etc. Et malheureusement, on n’est pas du tout dans un idéal de travail, puisque on est dans une garde comme ça, un peu chargé. On va proposer des temps de disponibilité relativement courts aux patientes. Je me rappelle, sur mes longues années de travail en maternité, des gardes où je pouvais être présent cinq minutes et puis repartir et ne pouvoir être présente auprès de la patiente que cinq minutes une fois par heure pour assurer vraiment l’accompagnement médical, mais pas du tout pouvoir donner plus parce que trop de charges de travail et trop de responsabilités.
On doit rendre des comptes de l’accompagnement médical, assurer la sécurité médicale de la mère et de l’enfant. Mais l’accompagnement d’un accouchement, c’est bien au-delà de ça et l’idéal, c’est de pouvoir assurer une présence en continu. Ce qui est le cas à domicile, on est complètement disponible pour cette femme, pour ce couple, pour cet enfant à naître. Et là, c’est vraiment satisfaisant pour chacun des protagonistes de la naissance.
S’engager pour une cause
Céline : Je te sens vraiment très impliquée dans cette démarche-là, et très passionnée par tous ces questionnements qu’il y a eu à la maternité ou dans ton parcours, ou pour les autres sages-femmes, pour tes collègues. Tu disais tout à l’heure que vous êtes très peu de sages-femmes à pratiquer l’accouchement à domicile, à proposer cet accompagnement.
Emmanuelle : C’est un métier passion. Je me sens très privilégiée par la vie de pouvoir exercer ce métier passion, parce que c’est très nourrissant, et très enrichissant sur le plan personnel aussi. À chaque rencontre, voire à chaque accouchement, il y a un enseignement, une leçon qui me fait grandir.
Effectivement, on est très peu nombreuses à accompagner les accouchements à domicile. Je pense qu’il y a plusieurs raisons pour ça. Déjà, la façon dont est formée en France ne prépare pas du tout à accompagner la physiologie. J’étais très peu outillée. Quand je me suis installée en libéral, j’ai constaté qu’il me manquait beaucoup d’outils. J’ai dû vraiment suivre des formations pour remplir ma boîte à outils.
Et puis, j’ai découvert la physiologie à travers des rencontres de personnes comme Michel Odent ou d’autres sages-femmes connues dans le domaine des naissances physiologiques. J’ai appris, j’ai découvert la physiologie à travers toutes ces rencontres et toutes ces formations, mais je dirais que c’est une démarche personnelle dans la formation de sages-femmes. Malheureusement, sur 5 années d’études, il y a deux ou trois heures consacrées à la physiologie. Mais on sort diplômé avec une notion très, très accrue de tous les risques et de tous les dangers d’un accouchement.
La méconnaissance de la physiologie
Et je crois que ça génère beaucoup de peurs. Donc, on est très peu outillé pour accompagner sur le plan physiologique. On n’est pas à l’aise avec ce qui nous est inconnu. Voilà, peut-être que ça va venir. Il faut aussi savoir que, quelque part, ça arrange les équipes de médicaliser puisque, quand on ne peut pas se permettre le luxe de se mobiliser auprès d’une patiente parce qu’il y a du travail, si on le fait, c’est au détriment des collègues. Ce n’est pas forcément évident.
Et puis, on ne connait pas la physiologie. Alors que dans des formations comme en Belgique, les études de sages-femmes sont vraiment axées sur la physiologie. D’ailleurs, il y a beaucoup de jeunes sages-femmes qui vont en Belgique pour faire leurs études, peut-être parce qu’elles ont envie d’être dans cet état d’esprit. Et puis aussi, il y a actuellement une première année de médecine et le concours a passé. Et peut-être que c’est une façon d’être diplômée après un échec en France à ce concours.
Futures mamans : choisir d’accoucher à la maison
Céline : J’apprends beaucoup de choses sur ton métier, mais aussi de toi. Je peux le dire, pour celles qui me suivent sur le blog, j’ai accouché à domicile de ma première petite fille et j’ai eu la chance d’être accompagnée par toi. J’ai beaucoup aimé ce moment. Et tout ce que tu dis là fait écho en moi. Effectivement, j’ai eu la chance d’avoir un accompagnement de A à Z avec toi, de ne pas passer d’une personne à l’autre. Je sais, pour d’autres amies qui ont accouché en maternité, que c’était un point qui était assez difficile à accepter : ne pas connaître la personne le jour J.
Emmanuelle : Je pense qu’effectivement, le fait de se connaître avant, ça permet de se sentir en confiance et sécurisé. Et c’est vraiment un maître mot pour la physiologie. Pour que la femme accouche, pour qu’elle puisse déconnecter son mental et qu’elle puisse se sentir dans des conditions psycho-affectives favorables, avec le sentiment de se sentir en sécurité affective, c’est essentiel. Et c’est un challenge pour une sage-femme de maternité d’accueillir une femme qui ne la connaît pas, qui ne l’a jamais rencontrée auparavant et de pouvoir la mettre en confiance très, très rapidement pour qu’elle puisse vraiment être dans un certain lâcher prise et glisser dans l’énergie de son accouchement. Il y a beaucoup de sages-femmes formidables qui ont ce talent-là : pouvoir mettre en place ce climat de confiance.
La formation de sage-femme : revoir les fondements
Les fausses croyances et les peurs
J’ai parlé du fait qu’on reçoit une formation qui est extrêmement médicalisée et qui peut créer, sans intention première, beaucoup de peur, beaucoup de méfiance vis-à-vis à l’accouchement à domicile. C’est vraiment quelque chose qui est très peu connu.
Maintenant, ça l’est de plus en plus. Il y a un phénomène de mode et il y a une augmentation de la demande des femmes et de l’offre des sages-femmes. Mais moi, quand j’étais en études, par exemple, ça me semblait vraiment une autre planète. J’étais tellement formatée, baignée dans de fausses croyances. 28 ans après, je dirais que tout ça crée une fausse sécurité. Ça peut au contraire interférer et bloquer tout le processus physiologique de la naissance qui est parfait, mais qui est très fragile et souvent, justement, par manque de connaissance de la physiologie. On va aller mettre des petits grains de sable dans l’engrenage. Et puis créer des blocages qui, après, vont justifier de devoir multiplier les interventions, comme une péridurale, etc.
Donc, je souhaite de tout cœur qu’il y ait une évolution, notamment dans la formation des sages-femmes et qu’on y ramène de la physiologie puisque en tant que sage-femme, on est gardienne de la physiologie sans la connaître. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour la formation des sages-femmes.
Comment engendrer le changement ?
Céline : Actuellement, il y a des améliorations à apporter dans le parcours d’études des sages-femmes. Est-ce que certaines améliorations ont déjà été faites ?
Emmanuelle : En fonction de l’état d’esprit de la directrice d’école, il peut y avoir des interventions, différentes activités et même des sages-femmes qui vont faire des interventions en école de sages-femmes sur leur activité d’accouchement à domicile. Mais ça reste quand même relativement rare. Et comme je le disais, la transmission sur la physiologie de l’accouchement, ça se réduit à peau de chagrin. Quelques heures sur une formation de 5 ans. C’est vraiment fondamental que toutes les sages-femmes soient en capacité d’accompagner des accouchements physiologiques où qu’ils se passent : en maternité classique, en plateau technique ou à domicile.
Outre le formatage, les croyances, la méconnaissance de l’accouchement à domicile, le fait est que dans notre contexte médical, c’est très, très marginalisé. Si je peux me permettre le terme, ça peut être assez diabolisé.
L’absence d’assurance pour l’AAD
Il y a beaucoup de fausses croyances par rapport à l’accouchement à domicile en France et c’est une activité qui n’est pas, qui n’est plus couverte par une assurance, ce qui pose beaucoup de problèmes. On avait une assurance jusque dans les années 2000. Et puis ça a été enlevé, extrait des contrats. Et puis ensuite – c’est toute une aventure, l’assurance de l’accouchement à domicile – on a eu une assurance proposée à 22.000 euros par an, ce qui était calqué sur les risques gynécologiques des obstétriciens en maternité, mais qui vont gérer beaucoup de pathologies et donc beaucoup de risques. Alors que pour qu’une femme accouche à la maison, il faut que tous les voyants soient au vert et il faut qu’elle ait une grossesse parfaitement physiologique :
- sans pathologie ;
- un seul bébé ;
- la tête en bas ;
- pas d’antécédents particuliers ;
- etc.
Il faut qu’il n’y ait aucune suspicion de complication. Après, chaque sage-femme pose ses limites en fonction de ses critères. Mais l’idée, c’est que l’accouchement à domicile soit réservé aux grossesses physiologiques. On se situe hors pathologie. Ce que les assurances n’ont pas du tout compris, et ce tarif est complètement exorbitant. En gros, c’est notre chiffre d’affaires, et ce n’est pas du tout adapté aux risques réels de l’accouchement à domicile. L’absence d’assurance, c’est ce qui va décourager beaucoup de sages-femmes. D’autant plus qu’actuellement, depuis quelques années, il n’y a plus du tout de possibilités d’assurance. Or, chaque acte médical doit être couvert par une assurance. Donc, on est un petit peu hors sentiers battus, un peu dans l’illégalité du fait d’accompagner un acte médical sans assurance.
Céline : Et cette situation, je la trouve d’autant plus surprenante en sachant que l’accouchement à domicile est un choix possible, légal pour les futures mamans. Et finalement, le choix est fait d’avance puisque les sage-femmes comme toi qui acceptent de prendre ses risques se réduisent à peau de chagrin.
Évolution de l’image de la sage-femme et de l’Accouchement à Domicile
Changement du côté des familles
Emmanuelle : Je trouve qu’il y a vraiment une belle évolution. Autant il y a 10-15 ans, une sage-femme, tout le monde ne sait pas ce que c’est. Aujourd’hui, l’accouchement à domicile, on en parle de plus en plus. Il y a un phénomène de mode. On peut être régulièrement sollicité par des journalistes pour faire des émissions, faire des films sur les accouchements à domicile. On en parle beaucoup dans la presse. Il y a des livres qui sont écrits sur cette thématique.
Et puis, il y a une demande qui explose. Il y a des mamans comme toi qui ont cette demande dès leur premier enfant. Peut-être parce qu’elles ne se sentent pas très à l’aise à l’hôpital, peut-être parce qu’elles considèrent que la naissance est vraiment un événement naturel, physiologique, mais aussi intime et familial, et qu’elle se visualise dans leur cocon. Ça correspond des fois à un état d’esprit un peu alternatif.
Céline : Est-ce le profil majoritaire des personnes qui demandent l’accouchement à domicile, qui veulent se tourner vers ça ? Ou est-ce que ça touche d’autres catégories de population ?
Emmanuelle : De plus en plus. Il y a quelques années, cela concernait une marginalité sociale, un mode de vie dit alternatif. Aujourd’hui, ça touche de plus en plus de gens, dans des catégories socio-professionnelles différentes. Malheureusement, cela concerne aussi des mamans qui ont subi des violences obstétricales et qui veulent vraiment autre chose.
La demande explose. Il n’y a plus de profils types de patientes qui sont dans cette démarche-là. Ça concerne de plus en plus de gens. Et puis, avec le Coronavirus, on assiste depuis un an à une explosion des demandes. Ce qui a peut-être fait le déclic, c’est la peur de l’hôpital, les gens hospitalisés, la maladie… Il y avait ces histoires de masques imposés que les femmes étaient obligées de porter, même pour la poussée. La présence du père était très, très discutée, voire refusée. Malheureusement, il y a eu beaucoup de cas où le père était interdit de salle de naissance. C’est impensable pour toute femme de devoir accoucher seule.
Faire la part des choses
Alors, on s’est retrouvé nombreuses à être envahies de demandes de gens qui demandaient un peu à la dernière minute. Et pour nombre d’entre nous, c’était vraiment important de faire la part des choses et d’accepter des gens qui étaient motivés pour accoucher à domicile et non pas pour accoucher contre l’hôpital.
J’ai accompagné deux naissances en plus cette année, pour lesquelles j’ai demandé un minimum de trois rencontres pour créer un climat de confiance. Ces couples étaient déjà dans un souhait de physiologie, mais qui ne se l’autorisaient pas.
La demande est exponentielle. C’est quelque chose qui est en train de s’intégrer dans l’inconscient collectif.
Du côté des professionnelles
Du côté de l’offre, on est de plus en plus à proposer cet accompagnement global. Ça a longtemps plafonné à 80, avec quelques fluctuations, pour des raisons professionnelles et personnelles. Dans cette démarche, on a le système à dos, on ne se fait pas que des amis. Beaucoup de sages-femmes subissent des pressions de gynécologues, de maternités environnantes, du conseil de l’ordre, etc. Le propos n’est pas d’aller contre l’hôpital, mais de travailler en partenariat, avec un maximum de tolérance et de bienveillance, pour que ce choix-là soit possible et que les femmes se sentent en sécurité, en libéral et à l’hôpital.
Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, beaucoup de fausses croyances à combattre. Et beaucoup de peur aussi chez les sages-femmes, confrontées au quotidien à la gestion d’urgences. Ça peut également empiéter sur la vie familiale. Tout cela peut décourager. Et malheureusement, certaines sages-femmes ont subi des procédures, après lesquelles elles ont été radiées, interdites d’exercer quelques années ou à vie, suite à des plaintes.
Céline : Des plaintes qui émanaient de familles ou de professionnels ?
Emmanuelle : Les plaintes peuvent provenir de maternité, de gynécologues, de conseil de l’ordre, de l’ARS (Agence Régionale de Santé) ou de patientes, ça peut arriver. Malheureusement, quand on subi une plainte, on se retrouve dans une procédure hors système juridique classique. On est jugé dans des chambres disciplinaires de sages-femmes par des gens très peu favorables à l’accouchement à domicile et qui vont avoir une lecture biaisée de la situation.
Aujourd’hui, il y a une explosion d’installation de jeunes sages-femmes en libéral. Je suis épatée par ces jeunes sages-femmes : moi il m’a fallu des années pour me décider !
Comment être accompagnée par une sage-femme lors d’un accouchement à domicile ?
Les contacts et les ressources à connaître
Céline : Si on veut être accompagnée pour un accouchement à domicile, quelle est la démarche ? Où se renseigner ?
Emmanuelle : Le bouche-à-oreille fonctionne bien. L’association nationale des sages-femmes libérales propose une liste de ses sages-femmes adhérentes, en indiquant celles qui accompagnent l’AAD. Sophie Lavoix, qui est connue dans le domaine de l’accouchement physiologique, propose elle aussi un listing disponible en ligne. Mais ces deux supports ne sont plus mis à jour.
Depuis 2 ans, une nouvelle association consacrée a vu le jour : l’APAAD – Association Professionnelle de l’Accouchement Accompagné à Domicile, dont j’ai la chance de faire partie.
Naissance d’un engagement
J’ai eu une procédure en 2018 qui m’a beaucoup affectée, mais qui m’a fait prendre conscience de l’importance de la cause de l’AAD et des droits des femmes. Ça m’a donné envie, au-delà de mon métier, de m’engager dans une démarche militante.
En 2018, nous étions plusieurs en procédure. Nous étions en lien par un Google Groups et nous échangions sur nos cas respectifs. L’APAAD est née à la suite de nos réflexions. Et, j’en suis assez fière, nous avons actualisé le listing de Sophie Lavoix avec une cartographie et des pastilles rouges pour localiser chaque professionnelle. On voit rapidement qu’il y a des régions bien fournies, et d’autres désertes. Il y a à ce jour 95 sages-femmes qui accompagnent officiellement l’AAD. Une petite dizaine ne souhaite pas y apparaitre pour diminuer leur charge de travail et/ou se protéger.
Et peut-être consulter des blogs comme le tien, Céline !
Céline : Oui, j’espère aider à ta cause !
L’expérience personnelle d’une sage-femme
Emmanuelle : Je milite pour le droit de toutes les femmes à un accouchement physiologique. Je suis heureuse de constater le développement de pôles physiologiques et de maisons de naissance. À Rennes, on a la chance d’avoir Parent’eizh et La Bulle.
Personnellement, j’ai mis au monde mes deux enfants dans la salle nature de la maternité de l’Hôtel Dieu. Ces deux naissances physiologiques sont des moments fondateurs pour moi, en tant que femme, mère, et ça a permis une connexion puissante avec mes 2 bébés. J’ai envie d’œuvrer pour ce droit-là, pour toutes.
Et aussi, au terme « accoucher » je préfère « enfanter ».
Céline : Merci Emmanuelle pour ton engagement pour les enfants et pour les mamans.
Emmanuelle : Merci à toi, Céline.